Le seigneur Moritandil était épuisé. Mais comprenez-moi bien, épuisé de corps mais, et principalement, épuisé d’esprit. Car toutes ces batailles, tous ces sacrifices et toutes ses morts avaient depuis longtemps déjà ébréché sa volonté. En son âme, une fatigue immense s’installait et un dégoût profond pour les actions récemment menées se forgeait en son cœur. L’Etincelle Noire vacillait et, avec elle, l’éclat de son bouclier protecteur faiblissait.
Moritandil, après de nombreux assauts sur la triste citadelle en ruine de Karazhan, s’était quelque peu éloigné de la Guilde dont il faisait parti. Car, au fil des combats, une ombre avait passé sur son cœur et, de plus en plus fréquemment, il cauchemardait violemment, rêvant d’un bouclier fissuré. Et plus il allait au combat, plus cette peur s’enracinait en lui, le détruisant de l’intérieur. Petit à petit.
Alors, désespéré, il décida de remettre à plus tard les actes héroïques, promis par sa troupe et le grand chef Zelgadis, en Karazhan. Avant que le doute n’aille plus profond en son cœur, il lui fallait retrouver la force et la volonté qui l’avaient poussé sur le chemin de la protection.
C’est que beaucoup de temps s’était écoulé depuis la disparition de sa famille. Beaucoup de lunes et de saisons avaient passé depuis le serment qu’il avait fait. Et aujourd’hui, bien peu de travail avait été accompli. Aussi, tout lui semblait vain. Ses efforts inutiles. Son bouclier brisé.
Il repartit, donc, à la conquête de son pouvoir perdu. Il traversa l’Outreterre et, au grès du hasard, voyagea pendant plusieurs lunes. Il s’établit durant un temps en Nagrand, où nombre de petites gens avaient encore besoin d’aide. Là, beaucoup de gens le remercièrent et d’autant s’efforcèrent de le soutenir en lui fournissant des pièces d’équipement spécialement forgées pour des luttes acharnées.
Puis, lassé de ces terres moribondes et infestées de ces maudits elfes de sang SolFurie, ses pas le guidèrent vers les marécages de Zangar. Là, il eut fort à faire. En effet, des voyages réguliers vers la capitale de lumière qu’est Shattrath, il s’informa sur des problèmes récurrents, pour ne pas dire journaliers, qui avaient lieu dans les Caveaux de la Vapeur. Moritandil y vit là une opportunité : se rendre utile et, avec un peu de chance, acquérir des objets rares de haute valeur, qui lui permettraient de revenir, fièrement, parmi les siens.
Cela ne dura que peu de temps. Malgré l’arrivée soudaine d’un compagnon de confiance, le seigneur Galaor, la peur et le doute ne cessaient de croître dans l’âme de Moritandil. Ses échecs répétés, le manque d’appui et la propre inertie de sa Guilde finirent par abattre les grands remparts de sa détermination.
Et, fut-ce le hasard ou le destin, était-ce un bien ou un mal, c’est en tout cas à ce moment que l’île de Quel’Danas fut rendue accessible. Moritandil, sachant bien les richesses qu’il pourrait trouver là-bas, comprit que c’était pour lui sa dernière chance. C’est au galop qu’on le vit parcourir les pleines des Bois des Chants Eternels et c’est en toute hâte qu’il arriva sur l’île qui était alors en proie à la guerre et au massacre.
L’Etincelle Noire, chancelante mais encore vaillante, désireuse de survivre et de (re)découvrir sa raison d’être, alla à la rencontre des intendants et hautes strates de l’Opération du Soleil Brisé. Et il mit tout son pouvoir en œuvre pour s’attirer les bonnes grâces de ces gens et entrer, petit à petit, dans leur cercle restreint.
Hélas, en ce qu’il croyait être son dernier espoir, il n’y avait que désastre pour l’elfe désormais sombre et taciturne. Car si, au sein même de l’Opération du Soleil Brisé, les races coexistaient en paix pour un bien commun et l’avancée de l’opération, les aventuriers venus dans ces contrées lointaines ne l’entendaient pas de la même façon. Alors que pour Moritandil, il était évident, pour le bien de chacun et, surtout, pour l’Opération du Soleil Brisé, qu’il fallait, si ce n’était coopérer, au moins ne pas se gêner mutuellement. Et, s’il est besoin de le rappeler, le seigneur Moritandil n’avait jamais été un ardent combattant, agresseur de toute proie potentielle. Non, le seigneur Moritandil avait fait le serment de servir et protéger. Non point d’abattre lâchement, ni de faire couler le sang inutilement.
Trois fois hélas donc, pour lui, l’île de Quel’Danas ne fut que mort et désolation. Alors même qu’il oeuvrait pour l’opération, il fut de nombreuses fois abattus dans des circonstances parfois proches d’une simple et lâche mise à mort. Et si ses ennemis se vantaient de leur exploit, il n’y avait cependant aucun honneur à tirer d’un combat si peu expressif. Car, après tout, que pouvait un bouclier contre une rage de destruction rarement vu jusqu’alors ?
Et c’est ainsi qu’un profond dégoût s’installa dans l’âme autrefois pure du seigneur Moritandil. Et c’est en ces jours sombres que Moritandil, par une froide nuit, vint silencieusement dans les bâtiments de sa Guilde. Là, dans ses appartements, il se dévêtit, posant ses lourdes pièces d’armure. Et, sur son atelier d’arme, il y déposa sa hache. Au pied, il plaça son bouclier. Un bouclier qu’il ne devait jamais plus toucher, semblait-il.
Ainsi, dans cette triste nuit noire et d’un froid perçant, Moritandil s’en fut. Silencieusement. Personne ne devait le retrouver, à moins que lui-même l’eût désiré. Et commença alors l’errance de ce seigneur dont la flamme s’est éteinte, la retraite de Moritandil.