LIVRE VIII – Derrière les ombres
Le soleil tapait fort. Le vent soufflait, léger et rafraîchissant, transportant une odeur de sel. Un cours d’eau clapotait. Quelques cris d’animaux sauvages parvenaient jusque là, au bord de la rivière près de laquelle l’elfe noir s’était écroulé. Plusieurs heures s’étaient écoulées depuis la mort d’Erindil, la nuit avait passé et midi était bien passé lorsque le corps de l’elfe, jusqu’alors immobile, fut parcouru de légers spasmes. Et tout à coup, l’elfe se releva d’un bond, se projetant en arrière, les jambes écartées et les genoux pliés, les bras eux aussi écartés près à saisir un ennemi invisible. Tous ses membres tremblaient, comme s’ils n’eurent pas la force de le porter ou de lui obéir. Brusquement, l’elfe tomba à genou dans la rive humide, s’enfonçant légèrement dans les gravillons. La tête rejetée en arrière, il prenait de grandes bouffés d’air, comme s’il avait été asphyxié jusqu’alors. Quelques minutes passèrent ainsi, puis il se remit debout. Un léger sourire de satisfaction éclaira alors son visage. Ses longs doigts fins parcoururent sa chevelure argentée et, à l’aide d’un petit bout de tissu, nouèrent ses cheveux qui lui retombèrent en cascade sur l’épaule. Il huma l’air encore quelques secondes avant de se baisser vers la rivière pour se rafraîchir. Alors qu’il se penchait, son reflet se dessina sur la surface calme de l’eau. Il fixa ses yeux sur le reflet pour voir celui-ci s’animait : il hurlait et tapait violemment de ses poings, de l’autre côté de la surface, comme retenu par une paroi vitreuse mais inviolable. Et les cheveux de jais du reflet se perdaient vers le lit de la rivière. L’elfe, agenouillé au bord de l’eau, après avoir contemplé ce reflet révolté, plongea ses mains, dispersant l’image, et s’éclaboussa le visage. Lorsqu’il eut fini et que la surface du ruisseau se calma de nouveau, son reflet reparut, serein cette fois, les cheveux d'argent.
- Ne t’inquiète pas, Seigneur, dit-il en se relevant, je ne suis pas tout à fait dénué de bon sens. Et pour la promesse faite à Erindil, étant peut-être plus responsable de sa mort que toi-même, c’est bien à moi de la tenir. Repose-toi, plutôt. Place à Mormegil à présent !
Tournant le dos à la rivière, Mormegil se mit en marche, suivant un chemin de terre qui s’enfonçait dans la jungle sauvage. Bientôt il disparut dans les ombres des grands arbres tropicaux d’où les oiseaux habituellement joyeux et chantant sans cesse se taisaient à son passage.